GESE : La gestion de l’équilibre du système électrique

L’électricité ne se stocke pas, ou peu. L’ensemble du système électrique est donc dimensionné pour faire face à cette contrainte physique et assurer en permanence l’équilibre entre soutirage et injection, c’est-à-dire entre production et consommation.
En cas de déséquilibre entre ces paramètres, il existe un danger pour les équipements raccordés ainsi que des risques de coupures d’électricité.
Cet article revient sur les différentes dispositions qui permettent au système électrique de conserver ou de rétablir son équilibre.

Comment s’organise quotidiennement l’équilibre du système électrique ?

L’article L. 321-10 du code de l’énergie confie la responsabilité de l’équilibrage au gestionnaire du réseau de transport d’électricité (1) (RTE).
Pour assurer sa mission, RTE prend en compte toutes les contraintes liées au réseau d’électricité, de la capacité des interconnexions en passant par la fourniture lors des pointes de consommation (2).

Si RTE est responsable de l’équilibre du système, l’organisation du système électrique vise à inciter les acteurs de marchés à participer à son équilibrage.
Ces derniers, nommés dans ce contexte « responsables d’équilibres» (3), ont la responsabilité d’assurer l’équilibre entre les soutirages et les injections d’électricité sur leur périmètre d’équilibre. Ils sont prévus à l’article L. 321-15 du code de l’énergie.
Il peut s’agir d’un fournisseur d’électricité, d’un consommateur ou de n’importe quel tiers qui trouve un intérêt à participer aux différents marchés de l’énergie.

Le responsable d’équilibre conclut un contrat avec RTE et assure sa mission selon des règles prédéterminées approuvées par la CRE (4).
A la différence de RTE, le responsable d’équilibre n’est pas physiquement responsable de l’équilibre du système, en revanche il est financièrement responsable des coûts de ces écarts s’ils surviennent sur son périmètre. Ainsi, en cas d’écart négatif (c’est-à-dire que sur le périmètre considéré la somme des injections de puissance, y compris les imports et achats dans le périmètre, est inférieure à la somme des puissances de soutirage, y compris les exports et ventes, sur ce périmètre) il verse à RTE le coût de cet écart.

Dans la situation inverse, c’est RTE qui lui verse la compensation. Ce versement est appelé « prix de règlement des écarts ». Il est calculé sur la base d’une valeur moyenne des coûts ou bénéfices des actions d’ajustement mises en œuvre par RTE sur une période de 30 min (5).
En tant qu’acteur économique, le responsable d’équilibre est donc incité à veiller à l’équilibre de son périmètre.

(1). Article L. 321-10 code de l’énergie « Le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau ainsi que la sécurité, la sûreté et l’efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci. Il veille également au respect des règles relatives à l’interconnexion des différents réseaux nationaux de transport d’électricité ».
(2). Livre vert Feuille de route de l’équilibrage du système électrique français, RTE, juin 2016.
(3). Liste des responsables d’équilibre : site de RTE.
(4). Règles relatives à la Programmation, au Mécanisme d’Ajustement et au dispositif de responsable d’équilibre.
(5). L. 321-14 du code de l’énergie.

Lien entre la fréquence et l’équilibre offre/demande
Le réseau de transport électrique est maillé au niveau européen. Le transport s’effectue en courant alternatif à une fréquence de 50 Hertz (c’est-à-dire que la courbe d’électricité oscille 50 fois par seconde) en situation d’équilibre offre/demande.
Selon que la production est supérieure ou inférieure à la consommation, la fréquence augmente ou diminue. Or, pour le bon fonctionnement de tous les appareils connectés au réseau, il est essentiel que la fréquence soit extrêmement stable (moins de x% de variation), ce qui exige un équilibre quasi-parfait à chaque instant entre production et consommation.

Le modèle d’équilibrage français repose sur des programmes d’appels des moyens de production et/ou d’effacement établis par les producteurs ou responsables d’équilibre, et sur la prévision de la consommation à l’intérieur de chaque périmètre d’équilibre.
Ces programmes sont prévus à l’article L. 321-9 du code de l’énergie et concernent toute installation raccordée au réseau d’électricité.
RTE reprend pleinement la main sur l’équilibrage 1 à 2 heures en amont du temps réel (ce laps de temps est qualifié de fenêtre opérationnelle, et, en Europe, sa durée varie selon les pays), bien qu’il puisse également intervenir en amont de ce timing pour solliciter des ajustements afin de garantir la sûreté du système.
Les actions de RTE en amont du temps réel peuvent être réalisées s’il prévoit un déséquilibre et décide d’agir pour ajuster l’équilibre du réseau.

Ce modèle d’équilibre est qualifié de « proactif » puisque RTE peut agir en parallèle mais de façon dissociée du responsable d’équilibre. Dans la pratique, 80% des actions de RTE ont lieu lors de sa fenêtre opérationnelle (1 à 2h en amont du temps réel).

Que se passe-t-il en situation de déséquilibre ?

En cas de déséquilibre entre injection et soutirage, RTE doit pouvoir réagir le plus rapidement possible pour rétablir l’équilibre du système électrique.
Pour ce faire il dispose de deux types d’outils : les services système et le mécanisme d’ajustement. Ceux ci interviennent à des échelles de temps et de puissance différentes (voir CRE.fr).

Les services système
En théorie, il existe 2 types de services système qui se distinguent par des constantes de temps de mises en œuvre : la réserve primaire dont le délai d’action est inférieur à 30 secondes et la réserve secondaire dont le délai d’action est inférieur à 15 min.
Ces deux réserves sont activées automatiquement dès qu’un déséquilibre est détecté.

Le rôle de l’inertie
L’inertie n’est pas un service système, néanmoins ce phénomène physique participe en lui-même à l’équilibre du système électrique.
La fréquence de l’onde électrique conditionne la vitesse de rotation de la plupart des moteurs électriques alimentés par le réseau électrique, mais aussi la vitesse de rotation des alternateurs injectant de l’électricité dans le réseau (on dit qu’ils sont « couplés » au réseau).
Les technologies classiques de production d’électricité à l’aide d’alternateur comme ceux utilisés dans les centrales thermique (nucléaire ou à combustible fossile), ou des EnR comme l’hydroélectricité constituent des masses tournantes, quelquefois de plusieurs dizaines de tonnes, qui sont autant de résistance au ralentissement ou à l’accélération de leur rotation. L’inertie physique de ces moyens de production est importante pour le maintien de la fréquence du réseau au quotidien.

Tous les moyens de production ne sont pas égaux en matière d’inertie.
Les moyens qui génèrent de l’électricité à l’aide de masses tournantes ont un effet stabilisateur important pour le réseau.
Ces moyens de production sont actuellement très majoritaires dans le système électrique européen, offrant une abondance d’inertie. Un changement important de technologies de production pourrait entrainer une baisse de la stabilité de la fréquence de l’onde électrique, qu’il faudrait prendre en compte en introduisant des dispositifs complémentaires : techniques, réglementaires ou commerciaux.

La réserve primaire (ou FCR (7), pour l’UE)
Il s’agit donc de la première réserve activée en cas de déséquilibre détecté (à la baisse ou à la hausse), activable en moins de 30 secondes.
Elle concerne l’ensemble des producteurs européens interconnectés au réseau de transport.
Au niveau européen, cette réserve est dimensionnée pour pouvoir compenser la perte de deux des plus gros groupes présents sur la plaque, représentant 3000MW (équivalent des deux plus gros réacteurs nucléaires).
Chaque Etat participant au réseau interconnecté contribue. Ainsi la part française est établie à 570 MW.
A l’heure actuelle, tous les producteurs ne sont pas visés.
Seules les nouvelles installations dont la capacité dépasse 40 MW et les anciennes installations dont la capacité dépasse 120 MW, qui sont connectées au réseau de transport et disposant d’une capacité constructive de réglage de fréquence ou de tension doivent y participer (8).

Elles sont obligées de mettre à disposition de RTE une partie de leur capacité.
Depuis le 1er janvier 2017, cette réserve est contractualisée par organisation d’appels d’offres communs à la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse.

Les acteurs français obligés se doivent réglementairement de participer à ces appels d’offre, mais ils sont également ouverts à toute autre participation volontaire (9).
Les offres sont sélectionnées par le marché, mais une fois l’offre retenue, son activation physique se fait automatiquement en temps réel.
Les offres sont sélectionnées sur la base de la pertinence économique, dans la limite des échanges de réserves entre pays fixées au niveau européen.

La réserve secondaire (ou aFRR (10), pour l’UE)
L’activation de la réserve primaire permet de rétablir la stabilité de la fréquence du réseau électrique, mais ne permet généralement pas d’atteindre la fréquence cible de l’onde électrique (50 Hz).
C’est pour cela qu’est activée la réserve secondaire du pays duquel est issu le déséquilibre initial (à la hausse ou à la baisse).
Elle contribue à rétablir l’équilibre prévu du système électrique aux frontières de la France.
Son délai de réponse est de moins de 15 minutes, et elle est automatique.
La réserve secondaire est dimensionnée entre 500 et 800 MW selon la plage horaire et la période de l’année.
Tous les groupes de production de plus de 120 MW ont l’obligation de lui affecter une partie de leur puissance.
La rémunération des groupes à leur participation à ce dispositif est régulée : 18 €/MW/h pour la capacité et le prix spot pour l’énergie.

(7). Frequency Containment Reserve.
(8). Article L.321-11 du code de l’énergie.
(9). La participation peut se faire via le site : regelleistung.net.
(10). Automatic Frequency Restoration Reserve.

Le mécanisme d’ajustement

Il porte également le nom de réserve tertiaire en France (ou mFRR (11)), et RR (12), au niveau de l’UE). Cette réserve se subdivise selon sa formation : une partie de la réserve tertiaire est contractualisée tandis que l’autre se compose d’offres libres.

(11). Manual Frequency Restoration Reserve.
(12). Replacement Reserve.

Réserve tertiaire contractualisée
Au sein de cette partie de la réserve tertiaire, deux types de réserves :

> Réserve rapide : activable à la hausse ou à la baisse, dimensionnée à 1000 MW dont le temps de réaction est de 13 minutes.

> Réserve complémentaire : activable à la hausse ou à la baisse, dimensionnée à 500 MW dont le temps de réaction est de 30 minutes.

Toutes deux sont contractualisées, c’est-à-dire que les groupes de production (ou les effaceurs) répondent aux appels d’offres lancés par RTE, en vertu de l’article L. 321-11 du code de l’énergie.
Les appels d’offres peuvent porter sur des installations de production comme pour les autres réserves, mais également sur des effacements de consommation.

L’acteur d’ajustement candidat indique la puissance qu’il peut mettre à disposition, le temps de réponse associé, ainsi que le niveau de revenu attendu de ce contrat.
Les lauréats de l’appel d’offres concluent avec RTE un contrat passé annuellement mais qui peut les engager pour une durée bien plus courte prédéterminée par les acteurs, au cours de laquelle la capacité mise à disposition est rémunérée.
En cas de sollicitation, les lauréats sont rémunérés pour l’énergie produite selon les conditions sur lesquelles ils se sont accordés avec RTE.
En vertu de l’article L. 321-12 du code de l’énergie, RTE peut également constituer aussi sa réserve tertiaire contractualisée auprès de consommateurs raccordés au réseau public de transport ou de distribution, « lorsque leurs capacités d’effacement de consommation sont de nature à renforcer la sûreté du système électrique » (13).

(13). Article L. 321-12 du code de l’énergie.

Au total, RTE peut donc mobiliser 1500 MW à la hausse de production ou d’effacement de consommation, permettant de rétablir l’équilibre suite à une perte fortuite du plus gros groupe de production en France (1500 MW).

La perte fortuite d’un groupe de production peut se produire, entre autre, en cas de mise à l’arrêt du moyen de production pour diverses raisons ou par dysfonctionnement du réseau de transport d’électricité entraînant une déconnexion du moyen de production.
Ces deux réserves agissent comme des sécurités pour le système électrique.

Réserve tertiaire non contractualisée
Il n’y a pas de dimensionnement de cette réserve, elle est dépendante de ce que les acteurs offrent.
Elle est activable à la hausse et à la baisse, selon un délai également variable.
L’article L.321-13 du code de l’énergie oblige tous les producteurs raccordés au réseau de transport à mettre à disposition de RTE leur puissance non utilisée techniquement. RTE la détermine par écart entre le programme de production du groupe de production et les caractéristiques connues de l’installation.

Peuvent s’ajouter à cela des participations volontaires de consommateurs, de productions raccordées au réseau public de distribution, ou d’acteurs étrangers qui sont dans les faits principalement suisses et allemands.
Le rôle de RTE, lorsqu’il active le mécanisme d’ajustement/ réserve tertiaire (par des moyens contractualisés ou non), est de respecter la préséance technico-économique des offres qui sont à sa disposition (article L.321-10 code de l’énergie).
Dans le cas de la réserve tertiaire non contractualisée, les groupes de production ne sont rémunérés que lorsqu’ils sont activés.

Et le marché de capacité ?
Il ne constitue pas un service système, mais il contribue également à la sécurité du système électrique.
A des échelles de temps de l’ordre de l’année la demande en électricité varie beaucoup.
Ainsi, elle peut descendre jusque 30 GW au plein cœur de l’été, et atteindre de l’ordre de 100 GW au pic hivernal (ces valeurs varient évidemment chaque année).

Afin de s’assurer de la suffisance des moyens de production à la pointe hivernale, les responsables d’équilibre doivent démontrer une disponibilité suffisante de moyens de production pour couvrir cette pointe.
S’ils ne possèdent pas ces capacités en propre, alors ils doivent passer des contrats avec des producteurs ou des effaceurs pour se prémunir d’un manque de capacité de production à ce moment critique.
Ces transactions s’organisent autour d’un mécanisme d’enchères qui a été mis en œuvre pour la première fois en décembre 2016.